In février, coup sur coup, une étude majeure de l'université d'Oxford au Royaume-Uni et un rapport de l'Institut national du cancer en France ont conclu que l'alcool était cancérigène et ce dès le premier verre, y compris dès le premier verre de vin rouge.
Quelques jours seulement après la publication de l'étude d'Oxford et des conclusions de l'INCA, une nouvelle grande étude française, la cohorte Color, portant sur près de 100 000 personnes suivies pendant vingt-cinq ans, concluait, elle, que si l'alcool en général est bien un facteur de risque pour de nombreux cancers, la consommation modérée de vin rouge protège contre un certain nombre d'entre eux.
Que faut-il conclure ? Sur la base des études existantes, il semble clair que, dans de nombreuses circonstances, la consommation d'alcool augmente le risque de cancer. Toutefois, il n'existe pas de données suffisantes pour affirmer que la consommation modérée de vin rouge, au cours des repas, et dans le cadre d'un régime méditerranéen, est associée à un risque accru de cancer. Bien au contraire, on sait qu'elle est bénéfique contre les maladies cardio-vasculaires, et il reste fort possible qu'elle le soit aussi contre le cancer.
Essayons de comprendre ce qui explique ces confusions et justifie notre prudence :
Personne ne met en doute que la consommation excessive d'alcool est dangereuse pour la santé et induit des cancers. La plus dangereuse - et là toutes les études sont d'accord - étant la consommation dite binge drinking, qui consiste à se soûler en dehors des repas.
Surtout, le contexte alimentaire modifie considérablement la réponse de l'organisme à l'alcool. On a pu documenter, par exemple, qu'un déficit en acides gras oméga-3 et un excès d'acides gras oméga-6 (typiques des diètes anglo-saxonnes contemporaines) augmente de 5 à 10 fois la quantité de radicaux libres cancérigènes produits par la consommation d'alcool. De la même façon, plusieurs études ont montré que seules les femmes dont l'alimentation pauvre en légumes verts apporte moins de 400 microgrammes de folates par jour voient leur risque de cancer du sein augmenter avec la consommation d'alcool. Pas celles dont le régime est plus riche en folates - comme c'est le cas dans la diète méditerranéenne.
Un point capital de l'étude d'Oxford, qui a été peu discuté, est que l'augmentation impressionnante de 160 % du risque de cancer des voies aériennes et digestives supérieures (VADS) n'était observée que chez les fumeurs. Il n'y avait pas d'augmentation significative du risque chez les non-fumeurs. Encore une fois, c'est la synergie de nos habitudes, bonnes ou mauvaises, qui semble déterminante pour le développement des tumeurs.
En ce qui concerne le vin rouge en particulier, son effet protecteur est nettement plus marqué lorsque celui-ci est consommé dans un contexte précis : au cours d'un repas, et particulièrement dans le cadre d'une diète méditerranéenne. Ce régime alimentaire inclut de nombreux légumes riches en polyphénols, flavonoïdes, bêta-carotènes et folates (entre autres composés phytochimiques favorables à la santé), et un équilibre très favorable en acides gras oméga-3 par rapport aux oméga-6.
Par ailleurs, il reste vrai aussi que dans certains cancers, l'alcool, et le vin rouge en particulier, est associé à une réduction du risque. Dans l'étude d'Oxford, la consommation modérée d'alcool était associée à une réduction du risque pour le cancer du rein, de la thyroïde et du lymphome non hodgkinien. Une étude plus ancienne avait elle aussi constaté une réduction du risque pour le cancer de la prostate en relation avec la consommation de vin rouge. De plus, il existe une grande différence dans l'augmentation du risque de certains types de cancer selon le type de boisson alcoolisée consommée.
Par exemple, alors que dans l'étude d'Oxford le vin rouge n'a aucun effet sur le risque de cancer du foie, les autres types d'alcool augmentent de 31 % le risque de ce cancer. Une situation similaire est observée pour le cancer du côlon, la consommation modérée de vin rouge diminuant de 7 % le risque de ce cancer, alors que les autres boissons alcoolisées l'augmentent de 3 %
L'étude d'Oxford ayant été faite au Royaume-Uni, on sait que ces femmes représentent une population à haut risque de cancer étant donné la forte proportion d'entre elles ne mangeant pas une quantité suffisante de végétaux, consommant 15 à 30 fois plus d'oméga-6 que d'oméga-3 et étant inactives physiquement avec un excédent de poids. Cela est très éloigné du rapport de 5/1 ou moins qui caractérise la diète méditerranéenne. Ce régime anglo-saxon riche en oméga-6 augmente considérablement le risque de cancer en lien avec l'alcool, un impact néfaste qui ne peut qu'être accentué par une hygiène de vie déficiente.
On connaît aussi de nombreux exemples où les recommandations nutritionnelles pour la santé, aussi affirmatives, voire péremptoires, qu'elles aient pu être, se sont révélées fausses, et même dangereuses. C'était le cas aux Etats-Unis dans les années 1960 de l'injonction d'abandonner le beurre pour des margarines à base d'huiles végétales, dont on sait aujourd'hui qu'elles ont été responsables d'une épidémie considérable d'infarctus (à cause de l'excès d'oméga-6 et d'acides gras trans dans les margarines industrielles).
C'était le cas, en France, de l'injonction d'abandonner l'huile de colza dans l'alimentation humaine, alors que l'on a découvert que c'est une des huiles qui protège le mieux le système cardio-vasculaire, et qu'elle contribue sans doute aussi à la réduction du risque de cancer, grâce à sa richesse en oméga-3.
Donc, même s'il ne faut pas prendre à la légère les résultats d'analyses aussi poussées que celles mises en avant par l'Institut national du cancer ni les résultats d'études aussi sérieuses que celle de l'unité d'épidémiologie de l'université d'Oxford, il faut néanmoins se rappeler que le potentiel de prévention du cancer par quelques modifications du mode de vie est beaucoup plus important (48 %) que l'augmentation du risque notée dans l'étude d'Oxford (11 %).
Et il faut se rappeler aussi qu'il est facile d'arriver à des conclusions erronées lorsqu'on analyse un facteur alimentaire particulier (comme la consommation de vin) en dehors de son contexte culturel et alimentaire.
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